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La juridicisation de l’ostéopathie

Pierre-Luc L’HERMITE
 
vendredi 13 septembre 2013 par Pierre-Luc L’HERMITE

La juridicisation de l’ostéopathie
Master 2 Droit de la Santé et de la Protection Sociale
2012/2013

Pierre-Luc L’HERMITE


Directeur de mémoire : Monsieur Grégory CAUMES
Co-directrice de mémoire : Madame Florence CROUZATIER-DURAND, Maître de Conférence Toulouse Capitole 1
Université Toulouse 1 Capitole - 2 rue Doyen Gabriel Marty – 31042 Toulouse cedex 9 – France – Tel. : 05 61 63 35 00

Le Site de l’Ostéopathie remercie Pierre-Luc L’Hermite de l’avoir autorisé à publier son mémoire de Master 2 


Introduction


« Des mœurs du temps mettons-nous moins en peine
Et faisons un peu grâce à la nature humaine
Ne l’examinons point avec la grande rigueur
Et voyons ses défauts avec quelques douceurs. »
Molière 1666 Le Misanthrope

 Si la tonalité de cette citation ne semble pas avoir pris une ride même à notre époque, c’est-à-dire près de 350 ans plus tard, c’est parce qu’encore aujourd’hui on ne peut faire l’économie d’un constat lucide au sujet de la nature humaine. En effet, celle-ci aura su faire couler beaucoup d’encre du fait du vif intérêt qu’elle suscite. Certains diront que sa complexité en fait sa richesse. D’autres diront que cela ne fait qu’en rajouter à l’exténuant conflit entre le la bienfaisance objective, à l’image de l’arrêt du Conseil d’État Morsang-sur-Orge de 1995[1] au sujet du lancer de nain ou encore du droit naturel au sens de Hugo Grotius, et la bienfaisance subjective laissée à l’appréciation de chacun.

 De tous temps l’homme a subi les effets dévastateurs de la maladie, des blessures et a constamment recherché des solutions aux maux auxquels il était confronté. Les problèmes multiples posés par les médecines«  non-conventionnelles » soulèvent de grandes questions de droit médical du fait des compétences hétérogènes que les différentes formes de ces approches proposent. Toutefois le phénomène de l’ostéopathie, et au sens large des nouvelles médecines, se développe à l’échelle mondiale et particulièrement en Europe. En effet, en 1990 les états membres ne disposaient d’une réglementation que sur 5 de ces disciplines, et en 2007 il y en avait une pour 48 d’entre elles[2]. Si le vif intérêt suscité par ces nouvelles approches est manifeste, il faut toutefois impérativement garantir l’innocuité d’une pratique pour que celle-ci puisse être proposée aux usagers avec la sérénité nécessaire au bon fonctionnement de la distribution de l’offre de soins. En effet, pour qu’une approche thérapeutique puisse être validée scientifiquement, il faut qu’elle réponde statistiquement de manière favorable à un certain nombre d’évaluations. Seulement « la médecine a oublié qu’elle était un art et que la science n’était qu’un outil au service de l’art » rappelle David Hawkins. En effet « l’art médical » sous-entend clairement qu’il est impossible que chaque situation soit anticipée et laisse donc la porte ouverte à une marge d’adaptation. Cette capacité d’adaptation inhérente à la dimension « artistique » de la médecine paraît antagoniste avec le principe de protocole. La nature même de l’ostéopathie, médecine holistique par essence, ne rend pas possible son évaluation avec les outils classiquement utilisés. Si de nombreuses équipes de recherche ont totalement intégré ce concept cela n’est pas encore le cas de tous les observateurs. Ce qui a parfois pour conséquence de créer des controverses n’apportant que confusion dans l’esprit des personnes non initiées et de jeter l’opprobre sur la profession. Il en est de même pour bon nombre d’autres approches des médecines « non-conventionnelles ». C’est sans doute tout le problème de ces thérapeutiques qui peinent à être appréciées par les instances de contrôle et d’évaluation. L’ostéopathie se rapproche davantage des soins individualisés que des normes générales statistiques ne prenant pas en compte, par définition, la spécificité de chaque individu : « Les altérations de la santé répondent à un examen attentif et à un traitement adapté à ce qui est spécifiquement trouvé chez la personne plutôt que quelques mesures hasardeuses, fondées sur des statistiques de population  »[3].

 L’ostéopathie rencontre paradoxalement un succès qui n’est plus à démontrer auprès des usagers, qui trouvent en cette médecine alternative des solutions efficaces à leurs maux. L’étude d’Emmanuelle Richard se base sur un questionnaire effectué auprès de 243 personnes. Ce mémoire met en évidence que 70% des personnes interrogées connaissaient effectivement l’ostéopathie en 2010. Il faut remarquer que cette évolution est significativement croissante. En 1995, 46% des français connaissaient l’ostéopathie (Enquête COFREMCA 1995), et ils étaient 61% en 1999 (Sondage IPSOS 1999). De plus, « L’identité spécifique de l’ostéopathie, est ici assez bien mise en relief, le résultat étant suffisamment significatif : il s’agit bien d’une thérapie, d’une médecine, d’un soin… On ne retrouve que très peu de confusion avec un autre type de thérapie. […] L’ostéopathie semble donc bien avoir, une identité propre et connue »[4]. Quant à l’image que les médecins ont de l’ostéopathie, les résultats divergent un peu entre les spécialistes et les généralistes. A la question « connaissez-vous l’ostéopathie ? » les médecins généralistes ont répondu oui à 76% contre 82% chez les médecins spécialistes, et ce chiffre semble être croissant. Par ailleurs, 70% des médecins de cette étude pensent que l’ostéopathie est un atout supplémentaire aux soins de médecine allopathique. Il faut en outre noter que dans le milieu médical, il existe de plus en plus de défenseurs des atouts que présente l’ostéopathie. La XIème journée scientifique RSN des pays de la Loire d’octobre 2007 en témoigne. Le Dr Laprerie, médecin et ostéopathe, expliquait au nom de son expérience personnelle que « l’ostéopathie constitue une réponse dans certains cas, quand par exemple l’exercice de la médecine dite classique ases limites »[5]. Professeur Pascal Cathebras, médecin anthropologue : « La question des médecines parallèles est un sujet tabou pour la médecine hospitalo-universitaire. Mais est-il raisonnable et scientifique d’ignorer des recours thérapeutiques qui concernent près de la moitié des patients hospitalisés ? »[6]. La note d’analyse n°290 datant d’octobre 2012 du centre d’analyse stratégique du ministère de la santé constate un « recours croissant aux médecines non-conventionnelles telle que l’ostéopathie […] L’Organisation Mondiale de la Santé s’est quant à elle prononcée en faveur de leur intégration dans les systèmes de santé pour compléter la gamme de soins offerts aux patients  »[7]. Cette situation est connue de tous depuis plusieurs années, car déjà en 1994, Paul Lannoye, alors rapporteur de la commission de la santé publique du parlement européen, ajoutait dans ses considérations « qu’une partie de la population des États membres de l’UE a recours à certaines médecines et thérapeutiques non-conventionnelles et qu’il serait en conséquence irréaliste d’ignorer cet état de fait ». Deux ans plus tard, l’article 12 du Pacte international du 16 décembre 1996 énonce que « les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’elle soit capable d’atteindre  ». Ce qui n’est pas sans rappeler l’Organisation Mondiale de la Santé apportant la définition suivante : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Pour atteindre le meilleur état, il semble évident qu’il est nécessaire de se donner tous les moyens nécessaires pour y parvenir.

L’évolution de la reconnaissance de l’ostéopathie, qui a bénéficié ces dernières années d’une véritable acceptation dans les mœurs, est passée d’une considération de « pratique illégale de la médecine » (où les praticiens non-médecins pouvaient encourir, selon le Code Pénal, jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende) à une profession reconnue des autorités. Cette profession bénéficie d’un titre professionnel que l’on trouve à l’article 75 de la loi du 4 mars 2002. Avant cela il n’était pas rare que des actions en justices soient intentées contre des ostéopathes. Le Professeur Cornillot constate la chose suivante : « Combien d’ostéopathes non-médecins poursuivis n’ont-ils pas vu les salles d’audience combles de supporters enthousiastes venus les soutenir ». Le plus souvent, à l’issue de ces procès, ces derniers ne se trouvaient pas condamnés. Selon Maître Isabelle Robard, avocate au barreau de Paris et Docteur en droit, « pour avoir étudié l’histoire et l’évolution de l’exercice illégal de la médecine depuis la période du Moyen Age jusqu’à nos jours, nous pouvons affirmer que ce sera la première fois qu’une brèche sera portée dans le monopole médical ».

 Il faut toutefois nuancer cette reconnaissance encore modeste et fragile, car l’ostéopathie ne figure nullement dans le code de la santé publique et n’est évidemment pas prise en charge par la sécurité sociale, même si aujourd’hui plus de 300 mutuelles la remboursent. Son Code de Déontologie existe, mais il n’y a aucune structure qui permettrait de rendre son respect obligatoire. Par extension, il faut comprendre que son irrespect n’est pas susceptible de sanctions. Un exemple concret concerne le problème de l’hétérogénéité de la formation entre les ostéopathes : « La formation des professionnels œuvrant dans les domaines de l’ostéopathie et la chiropratique revêt à cet égard une importance capitale. Or elle est aujourd’hui de niveau variable » explique la commission de réflexion confiée au Professeur Guy Nicolas avant les années 2000. Mais surtout, le législateur n’a pu se soustraire à la problématique majeure et tout à fait actuelle concernant l’ostéopathie. Cette approche thérapeutique se revendique comme une branche dérivée de la médecine s’intéressant spécifiquement à la prise en charge curative et préventive des troubles « fonctionnels ». Or le modèle institutionnel français considère la médecine comme « Ensemble des connaissances scientifiques et des moyens de tous ordres mis en œuvre pour la prévention, la guérison ou le soulagement des maladies, blessures ou infirmités  »[8]. La proximité inévitable entre l’ostéopathie et la médecine est maintenant plus qu’évidente dans leurs définitions, dans leurs pratiques et dans leurs indications. En effet, la pratique concrète ainsi que les études montrent constamment que les indications aux traitements dispensés en ostéopathie excèdent assez largement le trouble fonctionnel. De ce fait, le législateur n’aura d’autre choix, à l’avenir, que de déterminer avec davantage de circonspection et de minutie le statut de l’ostéopathie. Par juridicisation, il faut ici entendre que le développement des outils juridiques relatifs à l’ostéopathie semble être assez urgent. Face aux grands chantiers qui concernent la santé sur le territoire national il convient de se demander :

Quelles réponses pourrait apporter l’ostéopathie en cours de construction aux grands enjeux de santé publique ?

Pour apporter des réponses satisfaisantes, il convient de s’interroger préliminairement sur l’histoire de l’ostéopathie. Elle débute théoriquement au milieu du XIXème siècle, mais nous allons voir qu’en réalité la médecine ostéopathique a, du fait de sa prétention à revêtir l’appellation de « médecine », des racines bien plus anciennes qu’il n’y parait. Nous observerons que bon nombre de grands noms s’étant illustrés dans l’histoire de la médecine ont été récupérés par le courant allopathe aujourd’hui considéré comme statistiquement dominant (partie 1). Il bénéficie, en effet, d’une représentation au sein de toutes les institutions de pouvoir : sénat, assemblée nationale, académie nationale de médecine, Agences Régionales de Santé, hôpitaux, cliniques, laboratoires pharmaceutiques. Aujourd’hui le terme de médecin est synonyme d’allopathe dans la représentation de chacun. Nous étudierons enfin dans la partie 2 les constructions législatives, réglementaires et décrétales progressive de l’ostéopathie qui illustrent le processus de juridicisation.

Nous verrons ensuite dans la deuxième partie que l’avènement récent de l’ostéopathie en tant que médecine alternative potentielle soulève plusieurs questions. Il convient de s’entendre sur ce que l’on qualifie des « grands enjeux de santé publique ». Dans le chapitre 1 nous observerons que la situation actuelle de l’offre de soins sur le territoire pose de nombreux problèmes qui semblent ne pas trouver de solutions satisfaisantes. Les déserts médicaux, la permanence des soins sont des obligations qui retiennent toute l’attention des pouvoirs publics. Ils commencent à trouver des solutions à travers le glissement de tâche mis en place avec certaines professions médicales et paramédicales. Nous allons envisager le rôle que l’ostéopathie pourrait jouer face à cet enjeu majeur d’assurer à la population l’accès à de véritables soins appropriés. L’ostéopathie appartient au groupe des médecines dites « non-conventionnelles », mais nous verrons que des subdivisions existent. Elles permettent de dissocier les thérapeutiques complémentaires et alternatives, ce qui soulèvera à terme des problématiques de responsabilité en fonction du degré d’habilitation à effectuer des diagnostics ou des actes. Mais cela agira aussi sur le libre choix du praticien et de la thérapeutique aux yeux de l’usager du système de santé. Enfin nous verrons (chapitre 2) que l’ostéopathie, en cours de construction, devra indéniablement passer par un rassemblement des professionnels l’exerçant. Ceci autour du respect de certaines normes essentielles pour assurer une sécurité du patient ainsi que des soins de qualité et de haut niveau. Cela passe évidemment avec l’assurance d’être convenablement représenté lors d’un contentieux auprès des tribunaux. Il paraît évident, étant donné la nouveauté, la spécificité et surtout la responsabilité liée à l’exercice de cette pratique, que les ostéopathes aient le droit d’avoir des experts qui puissent déterminer auprès des tribunaux si la responsabilité d’un de leurs confrères est, ou non, engagée.

 Cependant, nous ne traiterons naturellement pas de manière exhaustive l’ensemble des solutions que l’ostéopathie pourrait apporter aux problématiques relatives aux « grands enjeux de santé publique ». La santé publique pourrait apparaître comme une branche du droit public et du droit social englobant un « ensemble de règles applicables aux activités qui tendent à restaurer la santé humaine, la protéger et prévenir ses dégradations »[9]. Nous ne développerons pas non plus les potentiels bienfaits apportés par l’ostéopathie dans une dimension économique, ni de ses apports dans l’intégralité des services que l’on peut trouver dans un établissement de santé, ni la lutte ou la prévention contre des pathologies rencontrées pas les usagers dans le cadre de leur activité professionnelle.


Notes

 1.
https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/les-grandes-decisions-depuis-1873/conseil-d-etat-27-octobre-1995-commune-de-morsang-sur-orge-et-ville-d-aix-en-provence

 2. Organisation Mondiale de la Santé - Principes directeurs pour la formation en médecine traditionnelle, complémentaire et alternative, 2010

 3. LEE Paul – Mécanismes de l’esprit en ostéopathie p. 19

 4. RICHARD Emmanuelle – L’Ostéopathie vue par le grand public p.61

 5. www.reseau-naissance.com/joomla/images/livre_comm7.pdf Ce lien ne fonctionne plus

 6. CATHEBRAS Pascal – Recours aux médecines parallèles observé depuis l’hôpital : Banalisation et pragmatisme p. 6

 7. CHRIQUI Vincent – Note d’analyse n°290 Centre d’analyse stratégique p. 2

 8. www.larousse.fr/dictionnaires/francais/m%C3%A9decine/50082

 9. DE FORGES Jean-Michel – Que sais-je ? Le Droit de la Santé, p. 7 tab Table des Matières & téléchargement


Table des Matières


LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE I : L’OSTÉOPATHIE : DES ORIGINES AUX CONSIDÉRATIONS NORMATIVES ACTUELLES

Chapitre1 - Construction de l’ostéopathie au fil de l’Histoire
 Section 1 : Des origines communes illégitimement accaparées par la médecine occidentale
 Section 2 : L’Histoire propre de l’ostéopathie
Chapitre 2 – Le statut de l’ostéopathie en France
 Section 1 : Des fondements à la loi du 4 mars 2002
 Section 2 : Des décrets de 2007 à la loi HPST de 2009

PARTIE 2 - L’OSTÉOPATHIE COMME RÉPONSE PROVIDENTIELLE AUX GRANDS ENJEUX DU DROIT DE LA SANTÉ

Chapitre 1 – La nécessaire adaptation de la prise en charge du patient suite à l’avènement de l’ostéopathie
 Section 1 : Une subversive restructuration de l’offre de soin sur le territoire intégrant l’ostéopathie
 Section 2 : Le nouveau visage des droits des usagers considérant l’ostéopathie
Chapitre 2 – Encadrement et régulation juridique de l’ostéopathie
 Section 1 : Le contentieux et l’expertise, vers la construction des normes en ostéopathie
 Section 2 : La décadence du modèle ordinal, un exemple à ne pas suivre

CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

I Dictionnaires
II Traités
III Essais, manuels, précis
IV Thèses et mémoires
V Articles et contributions
VI Études et rapports
VII Sites internet


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    Pierre-Luc L’HERMITE
    La juridicisation de l’ostéopathie
    Master 2 Droit de la Santé et de la Protection Sociale
    Année 2012/2013

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