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L’homme et son corps, une relation revisitée. Le cas des médecines alternatives

Morand Ludovic - Mémoire présenté pour le diplôme de Master 1 de Sciences Sociales Mention Sociologie
 
samedi 23 octobre 2021 par Ludovic MORAND

Morand Ludovic - L’homme et son corps, une relation revisitée. Le cas des médecines alternatives :

Maîtres de mémoire :

  • Duteil-Pessin Catherine, Maître de conférence à l’Université Pierre Mendès France

Ce travail explore la question des représentations du corps en jeu dans les médecines alternatives. Sur la base d’un panel jugé relativement varié de médecines dites « alternatives », il met en évidence les lignes de force qui structurent et organisent une pensée du corps au sein des pratiques thérapeutiques. Les analyses qui en découlent sont confrontées à la manière dont le regard médical contemporain s’est peu à peu construit en rupture avec des représentations auparavant dominantes, et par rapport auquel les médecines alternatives représentent une forme de réaction. ».

Master 1 Sociologie - Département de Sociologie - UFR Sciences sociales - Sous la direction de Madame Catherine Duteil-Pessin – Volume 1 - Juin 2005 - Université Pierre Mendès France, Grenoble.


EXTRAITS DE LA CONCLUSION (p. 124-128).

Vers de nouveaux paganismes ?
Combler les carences du symbolique…


Dans un premier temps, il est intéressant de constater que dans une société où la pensée scientifique moderne a cherché à se débarrasser des causes et explications « cachées » voire métaphysiques, on assiste à une survivance, pour le moins vigoureuse, de causalités qui échappent le plus souvent à cette dernière. Souligner cela ne sous-entend pas que les types de causalités que développent ces différents thérapeutes n’aient pas un caractère légitime. Ce constat, qui pourrait être relayé par des données quantitatives, interroge sur le sens, justement (!), que peut comporter une telle tendance dans la société. Jean-Paul Guérin remarquait avec justesse que « si les sciences naturelles et la biologie ont construit un corpus impressionnant de connaissances, elles se sont heurtées au problème du pourquoi » (1).Nous avons vu, par exemple, de quelle manière la médecine intervenait sur des affections telles que l’asthme, de manière symptomatique et palliative, sans être toujours en mesure d’identifier une cause précise (cf. 3.1.2. alinéa « Le corps autogestionnaire  »). La science médicale, la science en général, porte avant tout ses efforts sur l’identification de relations positives entre les phénomènes, ce qui relève du quantifiable, du mesurable, du tangible (2). Cette démarche, à la fois rigoureuse et efficace dans nombre de domaines, laisse cependant en suspend des questions essentielles (du moins appréhendées comme telles, de manière récurrente, dans le discours des hommes) de l’existence.

« L’univers rationalisé est "inhabitable" là où manque la dimension symbolique » (3).

Devant ces limites de l’entendement humain, à une époque où la religion et le sacré (les types de causalités magico-religieuses) désertent l’espace public (du moins dans leurs formes « traditionnelles »), peu de personnes, à l’image d’un Jean-Paul Sartre (4), ne se satisfont aisément de cette absence de réponses. Même certains scientifiques, défenseurs d’un domaine a priori exclusivement athée, laissent transparaître des conceptions qui ne sont pas totalement positives. Le spécialiste en pneumologie rencontré, par exemple, se référait à l’existence de Dieu pour expliquer l’inexplicable, l’émerveillement devant l’agencement naturel des choses. Le vide laissé ouvre un champ presque vierge à l’intérieur duquel émergent et cohabitent, en un curieux agencement, toutes sortes de pratiques, toutes sortes de démarches explicatives. David Le Breton parle de son côté d’une carence de sens (5) ; l’absence de réponse culturelle et scientifique abandonne l’homme à « inventer », à sa propre initiative, des solutions personnelles qui conduisent à un éparpillement des références : emprunts à d’autres tissus culturels, création de nouvelles références, réactivation de mythes et croyances anciens, conservatisme religieux… Les réactions face à ce vide, cette carence, sont en effet diverses et variées. Une étude possible serait de les analyser, nous ne faisons qu’ouvrir une parenthèse. tab Reflet d’une ambivalence

Les médecines alternatives : reflet d’une ambivalence contemporaine ?

Dans un deuxième temps, nous souhaiterions considérer cette notion de holisme qui transparaît des conceptions de l’homme que développent les différents praticiens interrogés. Nous avons vu de quelle manière l’homme était pensé selon un mode relationnel, par une mise en relation constante avec différents niveaux d’interactions : une vision somme toute « holistique » de l’homme, la plupart des praticiens insistent particulièrement sur cet aspect de leur pratique. L’éclairage de Louis Dumont sur la question est, ici, particulièrement intéressant. Si l’on s’en tient à la stricte définition qu’il en donne, une « idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain6  », la notion de holisme telle qu’elle est entendue par les praticiens alternatifs indique une acception quelque peu différente. Plus qu’une erreur lexicale, le glissement d’une définition à une autre semble davantage révéler, ou traduire, une sensibilité contemporaine qui porte en elle des éléments antagonistes. Qu’est-ce à dire ? Louis Dumont, dans le même ouvrage, explique de quelle manière s’est opéré le passage d’une société de type holiste à une société de type individualiste. Ce passage, selon lui, est rendu possible par l’existence, dans tous systèmes, d’éléments antagonistes qui amorcent, à un moment donné, un processus inverse. Il développe cette hypothèse au travers de différents exemples, qui montrent que l’individu, comme valeur, n’est pas une création ex nihilo  : l’Inde des « renonçants », ces individus hors-du-monde véhiculant des valeurs pré-individualistes, qui sont également présents dans le christianisme. Il montre également de quelle façon s’effectue le passage entre la pensée philosophique de Platon et d’Aristote, pour lesquels la Polis se suffit à elle-même, et celle des nouvelles écoles de la période hellénistique, pour lesquelles c’est l’individu qui est censé se suffire à lui-même. Inversement, les sociétés de type individualiste ne se sont jamais totalement affranchies de manifestations antagonistes dont les médecines alternatives semblent être l’expression. Il fournit à cet égard les exemples de la famille, et celui du totalitarisme.

« En fait, le totalitarisme exprime de manière dramatique quelque chose que l’on retrouve toujours de nouveau dans le monde contemporain, à savoir que l’individualisme est d’une part tout puissant et de l’autre perpétuellement hanté par son contraire » (7).

Les médecines alternatives semblent particulièrement bien révéler cette ambivalence contemporaine. D’un côté, elles reflètent sans doute l’expression la plus moderne de l’individualisme. Au moyen de celles-ci, l’individu s’affranchit du traitement de masse, standardisé, de la médecine classique, qui ne fait aucune différence entre son corps et celui d’autrui. Il trouve dans le discours de ces praticiens une place à part, préservée, un lieu originel dans lequel peut s’exprimer sa plus pure singularité. Les discours ambiants, qui proclament l’émancipation et l’épanouissement personnel à travers le culte du corps, de la forme et des formes, du bien-être et du mieux-être, l’accompagnent dans cette démarche, l’amènent à porter une attention toute particulière à l’épaisseur de sa chair, à ses émotions, à son cadre de vie, bref, à son ego en tant qu’atome dissocié et dissociable de la communauté dans laquelle il s’insère. D’un autre côté, ces mêmes médecines procèdent à la réactualisation d’une forme de pensée à consistance holistique, en faisant prévaloir « l’homme fonction du monde  » plutôt que « le monde fonction de l’homme8  ». Nous ne revenons pas sur cette dernière question (cf. partie 3.2. et 3.3.). Dans la perspective de ce que nous venons de dire, il semble qu’il est possible d’interroger ces ambivalences contemporaines sous l’angle de la relation nature-société. tab Nature et Société

Nature et société

Dans ce travail, nous avons cherché à explorer un type de relation que l’homme entretient avec l’épaisseur de sa propre individualité à travers un médiateur : les médecines alternatives. Si nous avons procédé à cette exploration en interrogeant les praticiens eux-mêmes, afin de considérer des systèmes de représentations globalement homogènes (ou homogénéisés par les nécessités de la pratique thérapeutique), nous aurions également pu interroger leurs patients sur la manière dont eux-mêmes appréhendent leur propre corps. Dans le cadre d’une étude à plus grande échelle, incluant des données quantitatives et des témoignages de patients, un autre questionnement, non moins intéressant, serait de considérer cette tendance aux médecines alternatives sous l’angle de la relation homme-nature.

En effet, l’une des thématiques récurrentes dans le discours de ces praticiens repose, en filigranes, sur une idée de nature qui recouvre de multiples dimensions. Ainsi de la volonté de soigner naturellement, que ce soit au moyen de plantes (phytothérapie, aromathérapie, etc.), de techniques « non-technologiques » ou « non-chimiques » (médecines manuelles, magnétisme, etc.) ou par la stimulation des défenses du corps (homéopathie, acupuncture, NAET, etc.). C’est ce que Jean-Paul Guérin traduit comme un « nouvel hygiénisme » au cœur duquel la nature devient un référent obligé (9). Ces espaces nouveaux de la santé révèlent l’importance du corps, de la forme et des formes, et de l’attention toute particulière qui leur est accordée. Comme l’ont déjà montré diversement un certain nombre d’auteurs, il semble que cette tendance s’inscrive dans un mouvement de fond.

« Au moment où la majorité des Européens résident dans les villes, où les nouvelles techniques de conservation et de transport ont distendu le lien "alimentaire" direct entre la nature et les hommes, cette nature envahit nos discours, envahit les médias. Il suffit de regarder autour de nous pour constater que la nature est un référent obligé » (10)

De la même manière, on peut relever, à plus grande échelle, le déclenchement récent (les cinquante dernières années) de l’intérêt pour tout ce qui représente une relation harmonieuse entre l’homme et la nature, dans des domaines très différents. Ainsi de l’urbanisme, du climatisme, du tourisme « vert », sans oublier le fabuleux essor desdits « sports-nature » (11). L’époque récente a également vu s’affirmer ce que l’on peut appeler des politiques en faveur de la nature, à travers la mise en place de différentes mesures législatives, le développement de recherches scientifiques, la création d’un ministère de l’environnement. tab Notes

Notes

1. Cf. Jean-Paul Guérin, Institut de géographie alpine, Université Joseph Fourier de Grenoble, « Capital "nature" et société », in : Revue de géographie alpine, n° hors-série « Nature de la santé. Santé de la nature », sous la direction de J.-P. Guérin et J.-C. Lévy, coll. « Ascendances », juin 1992.
2. Cf. « Les trois étapes de la pensée de Comte », in : Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., P.80.
3. David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, op. cit., p.88.
4. Cf. Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1996 (première édition 1946).
5. David Le Breton, ibid., p.15.
6. Louis Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique de l’idéologie moderne, Paris, Seuil, coll. « Esprit », 1983, p.263.
7. Ibid., p.28.
8. Jean-Claude Lévy, « Capital "santé" et société. Hippocrate à l’encan ? », in : Revue de géographie alpine, n° hors-série « Nature de la santé. Santé de la nature », sous la direction de J.-P. Guérin et J.-C. Lévy, coll. « Ascendances », juin 1992.
9. Cf. Jean-Paul Guérin, op. cit.
10. Jean-Paul Guérin et Jean-Claude Lévy, Avant-propos du même numéro de la Revue de géographie alpine, op. cit.
11. Dans un dossier réalisé dans le cadre d’une option sportive du baccalauréat, nous montrions, sous un angle historique, cette impressionnante diversification des sports-nature.


SOMMAIRE


Introduction

Partie I. L’homme au cœur de la pensée médicale : des origines à nos jours
1.1. Le contexte intellectuel, l’héritage de la philosophie

  • 1.1.1. Le corps dans la philosophie antique
  • 1.1.2. Le corps dans la philosophie mécaniste

1.2. Les prémices d’un regard scientifique : de la médecine des humeurs à l’homme anatomisé

  • 1.2.1. La pensée du corps dans la médecine hippocratique
  • 1.2.2. Le corps dans la pensée anatomique

1.3. Médecine et société. L’homme vis-à-vis de son homologue autopsié : des réactions

  • 1.3.1. L’initiation anatomique : l’effraction de frontières symboliques
  • 1.3.2. Église et pensée anatomique : une position ambivalente
  • 1.3.3. Professions médicales et hiérarchie sociale : l’opprobre de la chair
  • 1.3.4. Corps anatomisé et représentations

1.4. Le nouvel esprit médical : « la nuit vivante se dissipe à la clarté de la mort »

  • 1.4.1. L’anatomie pathologique
  • 1.4.2. La mort volatilisée

1.5. Le savoir biomédical : une acuité renouvelée pour des perspectives récentes

  • 1.5.1. La santé biologique
  • 1.5.2. L’orientation génétique : vers une médecine compréhensive et anticipative
  • 1.5.3. Traitements : Vers une médecine douce ?

1.6. En matière de transition : le regard médical contemporain

  • Un modèle savant
  • Une médecine du corps
  • Le corps autarcique
  • Le mode allopathique : lutte pour la vie = lutte contre la mort

Partie II. Médecines alternatives et savoirs : modèles traditionnels populaires et modèles savants
2.1. Des modèles traditionnels populaires : du savoir au savoir-faire

  • 2.1.1. Présentation des personnes interrogées
    • Yvonne Bontaz, magnétiseuse
    • Alain Breynat, soins énergétiques
  • 2.1.2. Des démarches singulières
  • 2.1.3. La notion de don : une possibilité naturelle
  • 2.1.4. Une initiation en forme de quête spirituelle : un exemple de chamanisme contemporain
    • Le magnétisme : un potentiel commun ; guérir : une mission
    • Une initiation multiculturelle
    • Une quête spirituelle : vers une connaissance intime de soi-même
    • L’importance du vécu

2.1.5. Le magnétisme : un savoir-faire

2.2. Des modèles savants : différents types

  • 2.2.1. Présentation des personnes interrogées
    • Christian Ferrere, praticien NAET
    • Jacques Delourme, acupuncteur
    • Philippe Dransart, homéopathe
  • 2.2.2. Les avant-gardistes scientifiques, un exemple : le NAET
    • Origine, diffusion et enseignement de la technique
    • Une certaine définition des allergies
    • Diagnostic et thérapeutique
    • Une base hétéroclite
    • Science et connaissance scientifique : le casse-tête
    • A l’avant-garde de la science : empirisme contre rationalisme
    • En quête du gros lièvre : l’incomplétude de la connaissance scientifique
  • 2.2.3. Un emprunt culturel : l’acupuncture
    • La pensée médicale chinoise : des origines incertaines
    • L’exégèse des premiers textes
    • Une pratique fondée sur la cosmogonie chinoise
    • Acupuncture et médecine scientifique : rétablir ou supprimer

Partie III. L’individu et la thérapeutique : d’une médecine du corps à une médecine de l’homme
3.1. « Une autre médecine est possible » : l’affirmation d’une identité réflexive

  • 3.1.1. Parcours de thérapeutes
    • Les anciens patients
    • Reproblématiser la santé
  • 3.1.2. Pour une médecine douce, naturelle
    • Le principe de non-toxicité
    • Le corps autogestionnaire
    • Une approche individualisée
    • Par-delà les causes « habituelles »

3.2. Une approche holistique de la santé : l’homme en plusieurs dimensions

  • 3.2.1. Le corps comme tout « organique » - la chiropraxie
    • Présentation du praticien interrogé
    • L’interaction organique
  • 3.2.2. Au cœur des éléments 1 : la conception de l’homme-nature - A. Breynat
  • 3.2.3. Au cœur des éléments 2 : l’homme au rythme du monde - l’acupuncture
  • 3.2.4. Le corps : un objet multidimensionnel - Y. Bontaz, A. Breynat

3.3. Une médecine du « faire-sens » : l’approche psychosomatique

  • 3.3.1. La maladie : l’expression d’un « mal-à-dire »
  • 3.3.2. Sumbolon, le lien
  • 3.3.3 Quand le lien est parole
  • 3.3.4. Quand le lien est remède homéopathique

Conclusion

Bibliographie

Annexes


MÉMOIRE en PDF


L’homme et son corps, une relation revisitée. Le cas des médecines alternatives
Morand Ludovic

<Le Site de l’Ostéopathie remercie M. Ludovic Morand de l’avoir autorisé à présenter son mémoire de Master 1 - 2005.


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